Si les premiers concurrents rappellent plus chamois et bouquetins, hélas trop rares, la fin du peloton reflète davantage les marmottes opulentes et jouissives du temps à vivre.
Mais tous ont en commun qu'ils officient dans un cadre somptueux, majestueux et dominateur.
Arriver au sommet de l'Aup Martin, c'est toucher l'ère du minéral, frémir dans les volutes du souffle d'un autre monde.
Avant ceci, aux prémices de l'après midi du premier jour, les voyageurs auront vogué sous la « bienvaillante » assistance du glacier de la Meije, débonnaire et placide, gardien millénaire des naufragés du plateau d'Emparis quémandant pour certains la bouée que représente pour eux "chez Baptiste" le gite du Chazelet. Ils n'auraient pas du abuser de la tarte aux myrtilles de "l'Hotel Alpin" à Besse en Oisans.
Puis après un contre la montre rageur pour les uns, rageant pour les autres, oubliant toute diététique, ils auront fait ripailles à "l'auberge du bec de l'homme" la bien nommée, repartant l'après midi pour le col d'Arsine, non sans avoir salué les affables tenanciers du refuge de l'Alpe.
Les jambes seront alors la partie la plus présente de leur être, plus encore qu'au réveil où ils s'étaient demandés s'ils ne devraient pas les couper.
Mais demain, la randonnée fera glisser tout ça, consolidant les liens déjà enchevétrés suivant les affinités et les classements. La bière et la glace de Vallouise, le repas de "l'Edelweiss" , l'accordéon de Rémi et pourquoi pas les chants d'un anniversaire occulteront un instant la tension palpable entourant l'incertitude de la Grande étape, baptême de l'ultra pour certains, vrai départ du Défi pour d'autres.
Au petit matin, dans la pénombre du premier groupe ou dans l'aube naissante des suivants, tous accompagnés par le roulement incessant des eaux du torrents, une constatation commune, les muscles disent merci, ils s'épanouissent sans raideurs, comme neufs, miracle de l'acclimatation.
Le prologue jusqu'au premier ravito ajuste les esprits, concentre les énergies, communie les coureurs avec le sentier, et la transmutation s'opère, ils ne sont plus dans la course, ils sont LA COURSE.
L'Aup Martin ne sera que le premier des passages entre les sentinelles de ce jour. Le schiste du col de La Valette vous accompagnera jusqu'à une cuvette verdoyante puis Gouiran annoncera Vallompierre et sa descente au refuge du même nom, baigné par son lac accueillant qui vous invitera à éterniser votre pause et vous imprégner du soleil velouté de montagne. A condition de ne pas prendre à droite là où Patoche à dit d'aller à gauche, la fin de course se déroule comme un tapis vous transportant lascivement à l'escale : La Chapelle en Valgaudemar.
Attention, une grande étape peut en cacher une suivante, petite mais pas si tendre que cela.
Ah, la montée de La Vaurze, avec son sentier qui serpente et les coupes de celui ci qui asphyxient. Sa descente interminable, Le Désert et Cote Belle le col bien nommé, les orgues oubliées des hommes et enfin Valsenestre, le village magnifique ou maudit suivant le temps. Le Béranger et son Génépi, sa soirée de liesse et de bruit pour ne pas penser à La Muzelle.
Plus peut être que la grande étape, le col de la Muzelle est craint par les coureurs, surtout si l'humidité s'invite à la fêe, car alors même les anciens savent que le franchissement risque d'être laborieux, boueux et parfois même dangereux.
Mais quelle récompense, lorsque dans la bise éternelle, les yeux dépassant le sommet embrassent la vue jusqu'au loin, par dessus le refuge et son lac accroupi depuis des lustres au pieds de la vigie silencieuse qui vous invite à demeurer auprès d'elle au même titre que l'herbe et les moutons, dans la même humilité et pourtant même éternité.
La montée aux 2 Alpes sous le ron ron des télécabines ramène votre esprit à la civilisation et la fin toute proche vous invite à savourer une dernière fois la solitude du coureur de fond, avant les podiums, les bravos et les congratulations.